Nos vaisseaux sociaux

Hommage à Antoinette Duclaire

Deux photos représentant la journaliste et activiste Antoinette Duclaire

hommage à antoinette duclaire
journaliste et activiste

C’est un véritable choc d’apprendre l’assassinat d’Antoinette Duclaire. Journaliste et activiste haïtienne, Antoinette, dite Netty, avait participé au projet Passerelle, jeu de correspondances entre Haïti et la France, co-organisé par l’association B-KA et Les Aliennes.
Antoinette Duclaire
Antoinette Duclaire

Ce dimanche 31 octobre, Netty aurait eu 34 ans. Pour honorer sa mémoire, nous rendons publiques les lettres qu’elle a échangé avec une des membres de l’association Les Aliennes et qu’elle avait accepté de dévoiler. Nous pensons à toutes les personnes de son entourage, touchées directement par sa violente disparition.

nous n'oublierons pas sa force, son engagement et son énergie

Les correspondances

Dans le cadre de cet échange, les participantes n’ont pas eu connaissance de l’identité de leur binôme avant la fin de la correspondance. Antoinette Duclaire avait choisi le pseudonyme « Tay » et Tatyana Razafindrakoto, celui de « Lyra ».

Bonjour,

 

C’est tellement chouette et étrange de démarrer cette lettre sans savoir à qui je m’adresse. Pourtant, je suis pleine d’enthousiasme et ravie de faire ta connaissance dans le cadre de ces échanges. J’ai dit “ta” car c’est ce qui m’a semblé le plus naturel… Est-ce que ça te convient si l’on se tutoie ?

C’est donc notre première semaine et on nous propose de nous interroger sur le genre. Un vaste sujet. Ma première pensée a été pour l’enfance et, plus précisément, pour l’enfant que j’ai été. Une petite fille donc ou en tout cas désignée et sociabilisée comme telle. Je me souviens que ça a toujours été un élément extrêmement important de ma construction et de mon éducation. J’ai toujours eu conscience d’être “une fille”. Parce que mon père aurait préféré avoir “un garçon”. Encore aujourd’hui, je me demande pourquoi… De quelles mystérieuses capacités est doté un bébé assigné “garçon” et dont mon père me pensait dépourvue parce que l’obstétricien, après avoir regardé entre mes jambes, avait annoncé “c’est une fille” ? De son côté, ma mère a encouragé chez moi la coquetterie tout en imprégnant dans mon esprit l’idée que mon apparence était primordiale. Il fallait être jolie, mignonne, sage, mince, polie, bien habillée, bien coiffée, savoir sourire et poser sur les photos. À l’époque c’était un jeu auquel je me prêtais naïvement. À l’adolescence, c’est devenu une somme d’injonctions très lourdes à supporter. Je ressentais très fort encore le fait d’être “une fille” et cette sensation s’apparentait de plus en plus à de l’injustice. 

Ce que je pense du genre dans notre société est à la fois de plus en plus flou et de plus en plus libérateur. Je suis une femme cisgenre, je me sens à l’aise dans cette identité de genre parce que j’ai trouvé ma voix et ma révolte. Mais la raison pour laquelle la société veut absolument séparer, dès la naissance, les êtres humains en deux catégories : fille/rose/fragilité/soumission et garçon/bleu/agressivité/domination me semble de plus en plus incompréhensible. Et cette séparation en deux me paraît être à l’origine de beaucoup des injustices et des inégalités qui m’empêchent de dormir la nuit ou de marcher avec sérénité dans la rue la journée. 

Qu’en penses-tu ? As-tu vécu toi aussi des injonctions liées à ton genre ? Est-ce que ton genre a conditionné certaines de tes décisions ou des décisions qui ont été prises pour toi ?

Quand je réfléchis le genre aujourd’hui, et grâce à de nombreuses discussions que j’ai eu la chance d’avoir avec des personnes queers notamment, je le vois comme un spectre, un espace de jeu et d’exploration. Mais cela reste aussi un piège dans lequel certaines personnes souhaitent nous enfermer. Je pense que c’est aussi un héritage lourd à porter. “Être une femme”, ce n’est pas que l’expression d’un genre, c’est aussi le produit de siècles et de siècles d’oppressions, de privations et d’humiliations. Je me demande comment devenir totalement libre quand la mémoire des femmes de ma famille est si pesante. Je me demande comment réparer la phrase “je suis une femme” quand mon père espère encore que, si un jour je décide d’avoir un enfant, ce sera un garçon. 

Cette opinion est parfois impopulaire parmi certaines personnes, même féministes, mais je pense sincèrement que pour que le genre soit synonyme de liberté et d’égalité, il est essentiel de proposer aux enfants, dès le plus jeune âge, des modèles différents qui décloisonnent les questions de “féminité” et de “masculinité”. Je crois qu’il est important que dès l’enfance, chaque être humain soit invité à explorer toutes les facettes de sa personnalité et de son identité, sans être enfermé dans des clichés comme “les garçons ne pleurent pas” ou “les filles sont nulles en sport”. 

Cette première lettre est un peu longue… Mais le sujet est si passionnant. Je me suis simplement laissée aller à être très spontanée et je suis curieuse de te lire en retour. 

À très bientôt

Lyra

Mercredi 17 juin 2020

Bonjour,

Chère Lyra,

J’ai lu ta lettre avec beaucoup d’attention et de plaisir, et je te félicite pour ta spontanéité et la profondeur de tes idées. C’est avec ce même sentiment que je te fais la réponse. En tout premier lieu, je tiens à te dire que oui c’est sûr cela me convient bien que l’on se tutoie ; se tutoyer facilite l’échange entre deux personnes qui partagent certaines préoccupations portant sur leur identité de genre et leur parcours social.  

Je suis Tay et je vis en Haïti, un pays qui, par son histoire, invite à penser les rapports sociaux au croisement du genre, de la classe, de la et des rapports géopolitiques. Mon parcours de vie se situe donc à l’intersection de cette multiplicité de rapports sociaux. C’est une façon pour moi d’introduire le thème sur lequel porte notre échange cette semaine. Oui comme tu l’as bien dit, chère Lyra, le genre est un sujet à la fois vaste et complexe.    

J’ai grandi à la campagne, dans le Sud d’Haïti et dans une famille nombreuse et élargie (sœurs, frères, cousines, cousins…) et je ne me suis jamais sentie à ma place dans cet univers. Je me suis toujours sentie différente de tout le monde, dans ma famille, à l’école, à l’église, dans mon quartier… J’étais cette jeune fille très introvertie, qui s’exprimait très peu et qui ne jouait pas avec les autres. En fait, j’ai eu beaucoup de mal à m’intégrer dans ma propre famille et plus tard dans la société. 

En grandissant, j’ai compris que j’avais tout simplement du mal à m’adapter aux rôles qu’on imposait à une fille. Tout ce qui m’intéressait c’était NORMALEMENT ce qu’une jeune fille ne devrait pas faire, grimper les arbres, pratiquer les arts martiaux, jouer au foot ect…. Bref, je n’étais pas NORMALE. J’étais, dans cette société hétéronormée, un garçon manqué. Adolescente, je participais à des concours de Judo et de Taekwondo… Tout cela chère Lyra pour te dire que, tout comme beaucoup de jeunes filles à travers le monde, j’ai eu du mal à accepter mon identité de genre parce que j’estimais que les garçons avaient beaucoup plus de liberté et de privilèges que les filles. C’est le schéma typique d’une société patriarcale.

J’ai découvert certains concepts comme le féminisme et le genre en préparant le concours d’entré à l’université. Je devais préparer un sujet sur une femme haïtienne docteure en sociologie, elle s’appelle Madeleine Sylvain Bouchereau et elle fait partie des pionnières de la lutte féministe haïtienne. C’est alors que j’ai découvert qu’une femme, haïtienne de surcroit, pouvait atteindre un tel niveau. En étudiant la sociologie plus tard, j’ai vraiment pris conscience de l’injustice que nous autres de sexe féminin étions victimes depuis toujours. La société nous construit pour être des soumises, et étant devenue féministe, nous nous sommes érigées en rebelles. J’ai fini par me reconnaitre tout comme toi, en cisgenre, j’ai frayé ma propre voie, construit ma propre identité sexuelle ; et depuis, je me bats à côté de beaucoup d’autres femmes pour société plus juste et égalitaire.

Comme tu disais, le thème genre couvre beaucoup de réalités, d’expériences de vie. Parler de moi dans cette première lettre, c’est un prétexte pour se faire connaissance et pour éviter tout ce qu’implique le fait d’aborder sur ce sujet. Il est minuit, chez moi, à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti. Et j’espère que ma lettre te trouvera éveillée.

À bientôt ! Tay

Jeudi 18 juin 2020

 

Chère Tay,

Merci pour ta lettre. J’ai été ravie de te découvrir à travers ces premiers mots qui m’ont touchés et m’ont fait réfléchir. En te lisant, je me suis aperçue que je ne m’étais pas vraiment présentée ni située dans mon premier message alors je vais tout de même réparer cet oubli. Je suis donc Lyra et je vis en France, plus précisément à Paris. Tu m’expliques que l’histoire d’Haïti incite à penser les rapports sociaux de façon intersectionnelle (si tu me permets d’utiliser ce terme, peut-être qu’il n’est pas approprié à ce que tu souhaitais exprimer, si c’est le cas n’hésite pas à me le faire remarquer). Je dirais qu’en France, même dans les milieux militants que je fréquente, il est encore difficile d’aborder les différents systèmes de domination et d’oppression de façon croisée. Le terme même d’intersectionnalité, malgré sa puissance et sa pertinence à mes yeux, peine à se frayer un chemin hors de quelques bulles de luttes considérées comme marginales. Et il oppose souvent les féministes dîtes “de la première vague” à la vague actuelle qui est beaucoup plus déterminée à envisager son engagement comme interscetionnel. 

Nous avons ici un véritable problème d’élitisme dans les mouvements féministes, ce qui explique un peu, je crois, pourquoi j’ai mis très longtemps à utiliser ce terme pour qualifier mon engagement et pourquoi les femmes de ma famille, bien que fortes et combatives à de nombreux égards, ne se sont jamais senties représentées par le féminisme. Cela change, bien sûr, et de plus en plus mais il est certain que, venant d’un milieu social plutôt modeste, je n’ai pas grandi en pensant que les luttes féministes me représentaient. 

Ce qui me ramène au sujet du genre que nous avons commencé à évoquer ensemble. Ce qui me frappe en te lisant et qui fait écho à un ressenti personnel, c’est que nous avons eu à vivre, en tant qu’enfants, en tant que filles, de longues années pendant lesquelles nous ne nous sentions pas à la bonne place, comme écrasées par quelque chose ou même “empêchées”. Tu me dis que tu as dû attendre l’arrivée à l’Université pour faire la rencontre du travail de Madeleine Sylvain Bouchereau. Je ne la connaissais pas. J’ai commencé à me renseigner sur son parcours et ses engagements. C’est impressionnant ! Merci pour cette découverte. Quant à moi, c’est au lycée que j’ai lu pour la première fois Simone de Beauvoir et encore, ce n’était pas le fameux Deuxième Sexe que j’ai lu plusieurs années plus tard (qui a d’ailleurs ses limites et ses défauts), mais Mémoires d’une jeune fille rangée, la première partie de son autobiographie qui n’abordait pas tant que cela ses futurs combats pour les droits des femmes. 

Cela me fait me questionner sur ce vide de représentations, cette absence de modèles de femmes avec lesquels nous avons dû grandir. Je crois qu’une des constantes liée au genre féminin, c’est bien l’invisibilisation. Il y a eu de tous temps des femmes pour accomplir de grandes choses et pour renverser l’ordre patriarcal. Mais elles atteignent difficilement la postérité et sont même souvent effacées volontairement de l’Histoire, nationale ou mondiale. Et c’est comme si chaque génération de femmes qui veut se battre pour ses droits devait constamment faire d’abord ce travail de mémoire. Invoquer le souvenir et l’héritage de ces femmes, s’appuyer sur leurs travaux pour fonder de nouvelles revendications. Mais j’enrage un peu de ce temps que nous perdons à rechercher nos modèles, à penser que nous ne sommes pas “normales”, quand les hommes grandissent dans une société qui leur dit dès l’enfance que d’autres hommes ont accompli telles œuvres, sont arrivés à telle position dans le monde… Comment rattraper ces années passées dans le flou ? Comment se construire à égalité quand il existe un tel gouffre entre nos mémoires ? 

C’est parce que ces questions me semblent très importantes que je travaille beaucoup, dans mon engagement féministe, à mettre en avant des femmes artistes, créatrices, militantes, intellectuelles… Pour que l’imaginaire collectif s’enrichisse et devienne plus égalitaire. J’ai cette conviction qu’un enfant, un adolescent, quelque soit son genre, qui grandit avec différents modèles, est plus à même de s’autodéterminer et de prendre la place qu’il souhaite dans la société. Loin des clichés et des stéréorypes et dans le respect des personnes qui l’entourent. 

Je vais te quitter sur ce petit morceau d’utopie pour aujourd’hui. Au plaisir de te lire à nouveau très bientôt !

Lyra

Port-au-Prince, 22 juin 2020

 

Chère Lyra, 

Je tiens avant tout à m’excuser pour ce grand retard qui est dû à quelques problèmes de santé. Maintenant je vais mieux. J’espère que tout va bien pour toi. C’est toujours agréable de lire tes correspondances avec des idées si profondes et qui me font réfléchir. 

Je vais tenter de répondre à chaque paragraphe de manière consécutive, du moins je vais juste dire ce que je pense. Comme on fait depuis le commencement du jeu.

D’abord, sur la question d’intersectionnalité des rapports sociaux. 

Je comprends bien cette difficulté à penser les rapports à travers leur multiplicité, leur entrecroisement dans le milieu militantiste français. Bien que l’actualité politique et sociale en France et partout ailleurs, invite de plus en plus à penser les rapports sociaux en ces termes (d’implication, d’entrecroisement, de diversité)….. C’est dans ce sens que depuis une dizaine d’années, il y a une tendance qui se développe à la fois dans le milieu académique et dans la sphère d’action sociale (d’action militante), pour penser les rapports sociaux à travers leur implication et les relations de consubstantialité qui se développent entre eux. Penser les rapports sociaux en ces termes, ça n’empêche pas de se fixer sur un rapport en particulier. Cette façon de penser les rapports sociaux est surtout liée avec l’histoire des femmes noires américaines et de fait la pensée féministe noire américaine. Ce qui renvoie à l’histoire d’Haïti parce qu’en fait, l’histoire d’Haïti en elle-même invite à penser les rapports sociaux avec l’implication de ces termes : race, classe, colonial-esclavagiste. Et c’est ainsi, en tant qu’Haïtienne, c’est difficile pour moi de réfléchir sur les rapports sociaux de manière isolée. C’est dans ce sens que j’ai parlé dans la lettre précédente d’entrecroisement et/ou d’intersectionalité. Mais l’idée n’était pas vraiment d’introduire le concept d’intersectionnalité dans toute ses dimensions, c’était tout simplement pour te dire chère Lyra que l’histoire de ma vie implique un ensemble de dimensions lié à une diversité de rapports sociaux. 

L’élitisme c’est l’une des caractéristiques des mouvements féministes. Les premiers regroupements féministes, en particulier ceux de la seconde vage, ont pris naissance à l’université. Des femmes, universitaires qui remettaient en question l’ordre social établi (le patriarcat). D’ailleurs l’on pourrait avancer que tous les courants idéologiques féministes remettent en question l’ordre établi. Pendant longtemps et aujourd’hui encore malheureusement, les femmes de certaines catégories sociales cultivent une certaine réticence par rapports aux mouvements féministes. On peut prendre en exemple des femmes d’origine modeste et/ou moins instruites, ouvrières, paysannnes etc…. Ma mère a passé toute sa vie à travailler avec les femmes de sa communauté, les sensibiliser sur les questions de violence, à créer des projets socio-économiques pour les aider à être autonomes, pourtant, elle ne s’est jamais sentie vraiment concernée par le féminisme.

Cette contradiction, j’en ai pris conscience quand j’ai commencé à faire connaissance avec le féminisme à l’université. Comment dépasser cette contradiction?

L’institutionnalisation du féminisme aurait voulu créer cette connexion entre le Féminisme théorique et le féminisme d’action, là encore, on se demande si vraiment l’écart se resserre à ce niveau là. Je pense qu’un effort continu doit être fait pour sortir de ce bulle d’élitisme, parce que, malgré ce caractère (élitiste), on ne peut pas nier que les acquis des mouvements féministes sont, de certaine manière, au bénéfice de toutes les classes.

Dans cette même question d’implication ou de représentation des femmes, le féminisme en quelque sorte invite à réécrire l’histoire, c’est une façon de pointer cette tendance qui consiste à occulter la participation des femmes dans le développement des sociétés. C’est à l’université que j’ai découvert cette forte présence des femmes dans l’histoire d’Haïti et dans la lutte pour l’indépendance. Et c’est grâce au travail des féministes. Pendant longtemps, dans toute l’histoire d’héroisme, de gloire d’Haiti, on a jamais parlé d’héroines alors qu’ils y a eu des femmes guerrières, espionnes, stratèges, medecins qui se sont sacrifiées pour l’indépendance de notre pays. Pourquoi elles ont été occultées ? Pourquoi j’ai grandi avec si peu de femmes comme modèles alors que j’ai passé toute ma vie à me chercher, à trouver quelque chose à laquelle m’accrocher? Nous avons encore beaucoup de travail à faire en ce sens là.

Je dois rester là. Comme je te disais, te lire est régal. J’ai hâte! À bientôt !

Tay

Mercredi 24 juin, Paris

 

Chère Tay,

Je suis désolée d’apprendre que tu as eu des problèmes de santé. J’espère sincèrement que tu te sens mieux et que tu peux prendre soin de toi. Je suis en tout cas ravie de découvrir ta lettre, merci d’avoir pris le temps de m’écrire. Je partage ton avis, je suis toujours extrêmement curieuse de découvrir tes réflexions et tes idées sur les sujets qui nous sont proposés. Cela alimente beaucoup mes propres questionnements !

C’est intéressant car dans ta lettre, tu abordes des sujets qui vont me permettre de rebondir tout en enchaînant sur les thématiques proposées cette semaine. 

D’abord, je te remercie pour ces paragraphes brillants et passionnants sur l’intersectionnalité, sa complexité et ses racines. Je l’ai lu et relu, et je pense qu’une troisième lecture ne sera pas de trop pour en saisir toutes les subtilités. Et je vais en profiter pour ouvrir une porte vers l’un des thèmes de cette semaine : la nécessité du féminisme dans les sociétés modernes. Evidemment, il me semble, en tant que personne et en tant que féministe, que le féminisme est absolument vital pour toutes les sociétés, à tout moment. Malgré ce que certains peuvent dire… Par exemple que les droits des femmes sont acquis et que les luttes actuelles ne sont plus nécessaires. Il apparaît néanmoins comme évident dans tous les rouages de la vie quotidienne, intime, politique, artistique, qu’une hiérarchisation est faite entre les femmes et les hommes. Souvent, j’ai entendu dire que le féminisme n’était plus d’actualité parce que les femmes ont acquis des droits et que l’égalité est inscrite dans la loi (ce qui se discute et varie). Mais nous voyons clairement que les violences sexistes et sexuelles à l’égard des femmes continuent d’exister, nous voyons que tout ce qui est considéré comme “féminin” est dévalué, nous savons que notre sécurité dans l’espace public n’est jamais assurée, nous savons que nos corps sont encore soumis au patriarcat, à la norme hétérosexuelle… 

Et j’oublie tellement de choses ! Mais pour en revenir à la notion de l’intersectionnalité et la relier à cette question de la nécessité du féminisme, je dirai par exemple que, pour ma part, c’est grâce au féminisme que j’ai commencé à comprendre le réseau complexe des différentes oppressions à l’oeuvre dans la société. Ce que je trouve riche, enthousiasmant, essentiel, c’est la perpétuelle remise en question et la réactivité de ce mouvement. Je pense que si nous voulons transformer la société pour la rendre plus juste, on ne peut le faire sans réflexion et sans action féministe. Je me demande d’ailleurs si les échecs ou défauts des différentes révolutions, notamment la révolution française dont on nous rabâche les oreilles, ne viennent pas de ce rejet de la question spécifique des droits des femmes et du manque de travail réel pour éradiquer la domination masculine. 

Cela rejoint ce que tu exprimes sur l’importance de faire sortir le féminisme de sa “bulle élitiste”. Je partage ton avis. Et je crois que c’est l’un des défis de notre époque également : faire coïncider les idées féministes (donc les réflexions, les essais, les études universitaires, …) et les actions quotidiennes des femmes. Car nous sommes nombreuses à lutter chaque jour contre l’ordre établi, parfois sans le savoir. Il faudrait valoriser ces gestes de tous les jours. Je crois aussi que, contrairement aux “héros” masculins que l’on célèbre sans les critiquer (la situation en France aujourd’hui est révoltante à ce sujet, tant sur les “héros” morts que les hommes que l’on héroïse de leur vivant alors qu’ils se sont rendus coupables d’actes sexistes, violents, racistes…), il faudrait apprendre et encourager une analyse critique de toutes les féministes qui ont marqué l’Histoire. Pas pour invisibiliser leurs revendications mais pour conserver un regard éclairé sur leurs prises de position. 

J’aime beaucoup les termes “autonomes” et “héroïnes” que tu utilises dans ta lettre. J’ai l’impression que pour voir naître de plus en plus d’héroïnes, nous devons d’abord veiller à ce que chacune d’entre nous accède à l’autonomie, à l’émancipation et la liberté. Et pour contrer l’élitisme, je crois que nous devons faire en nous-mêmes un travail important : ne pas penser que notre façon d’être libre est celle de toutes les autres femmes. Si nous voulons échapper à l’essentialisation et/ou à l’uniformisation de nos destinées, il est important de reconnaître à chacune son libre-arbitre et sa capacité à s’auto-déterminer.

Je vais faire une petite pirouette pour finir cette lettre sur les deux autres thématiques de la semaine. En somme, le rapport militantisme féministe/famille/maternité. Un sujet avec lequel je ne me sens pas très à l’aise, d’ailleurs. Je ne suis pas mère et je ne désire pas l’être. C’est très simple à vivre dans ma vie quotidienne car je vis avec une personne qui ne souhaite pas non plus avoir d’enfant. Mais dans ma famille (la voici donc, cette fameuse famille !), c’est un sujet presque tabou. Mes parents notamment n’envisagent pas que l’on puisse être heureux sans avoir d’enfants. Ma mère me dit souvent qu’elle n’a même pas réfléchi avant de devenir mère. Elle était fiancée à mon père, ils ont “décidé” d’avoir un enfant, ils se sont mariés et quelques mois après, j’étais née ! Je crois que cela les a rendus véritablement heureux. C’est pourquoi ils ne comprennent pas mon choix. Sans vouloir être injuste envers eux, je crois qu’ils ont reproduit et valorisent inconsciemment un schéma familial classique, hétéronormé, dans lequel l’ordre patriarcal pèse encore très lourd. Pour eux, je pense qu’un être humain, et particulièrement un être humain de sexe féminin, n’est pas complet s’il ne se reproduit pas. Une idée qui me fait peur. 

Pour finir cette lettre qui est décidément bien longue, je te note un poème d’Andrée Chédid, une autrice et poétesse franco-libanaise que j’aime profondément. 

 

Dans les sèves

Dans sa fièvre

Écartant ses voiles

Craquant ses carapaces

Glissant hors de ses peaux

La femme des longues patiences se met lentement au monde

Dans ses volcans

Dans ses vergers

Cherchant cadence et gravitations

Étreignant sa chair la plus tendre

Questionnant ses fibres les plus rabotées

La femme des longues patiences se donne lentement le jour.

 

J’aime cette image dessinée par Andrée Chédid, car si j’imagine la maternité sous un jour différent, j’imagine que c’est moi-même que je mets au monde.

Je te souhaite une belle journée et j’espère que ta santé s’améliorera.

Bien à toi 

 

Lyra

Port-au-Prince le vendredi 26 juin 2020

 

Chère Lyra,

J’ai aimé la manière dont tu as conclu ta dernière correspondance. La poésie m’apporte toujours du bonheur. Merci de m’avoir fait découvrir Andrée Chédid. Je vois que c’est une autrice très prolifique qui a écrit sur l’amour, la guerre, la femme… Des thématiques qui me parlent bien. Je compte bien me procurer quelques-uns de ses ouvrages.. 

Ce qui m’attire surtout l’attention dans ta conclusion, c’est cette façon de lier la raison et la sensibilité, la réflexion et l’action, ce que je trouve d’ailleurs très féministe.

Je partage pleinement ton avis sur la problématique de la reproduction dans les sociétés modernes, surtout sur le rôle central que jouent les femmes dans le processus de reproduction. La réalité que tu viens de décrire est celle de beaucoup de femmes dans beaucoup de sociétés. Je vis moi-même assez mal cette expérience au sein de ma famille, de ma communauté. J’ai 32 ans, je n’ai pas d’enfant, je suis célibataire en plus. Ma mère, (fervente catholique, qui croit au mariage et tout le reste…), m’a dit désespérément : « même si tu ne veux pas te marier, donne-nous au moins un enfant ». Donc, dans mon cas, je trouve que la reproduction est plus qu’une norme, c’est une contrainte. Et quand on n’est pas libre de choisir, la reproduction devient un mécanisme de reproduction de la domination masculine. C’est l’une des façons, comme tu disais, à l’ordre patriarcal et hétéronormé de se perpétuer.

Cette question de contrainte à la reproduction est aussi liée à la façon dont les modernes conçoivent la famille. Et c’est pourquoi le code de la famille intéresse tant le féminisme. La question que l’on pourrait se poser ici, c’est : est ce qu’il y a un code de famille ? N’est ce pas une façon de rendre universel, d’essentialiser un modèle de famille (nucléaire, occidentale, chrétienne), dans le sens où le patriarcat serait partout pareil ? Est-ce que dans ce cas-ci, on ne pourrait pas parler des codes de la famille considérant les différentes formes que peut prendre la famille à travers l’espace et le temps. Cette nuance n’enlève pas le fait que les mécanismes de domination parcourent bon nombre de types de familles. Je peux prendre l’exemple qu’en Haïti, historiquement, les femmes, en majorité, ne restent pas cantonner dans l’espace privé familial surtout dans les milieux paysans et les quartiers populaires. Ce sont elles qui exercent le plus souvent les activités économiques dites informelles. On les retrouve généralement dans les petits commerces. On les appelle « Madan Sara, revendeuse, détaillante… ». Cette spécificité s’explique par le fait que dans l’histoire d’Haïti, les hommes partaient souvent en guerre, à ce moment-là, ce sont les femmes qui prennent en charge la famille. Juste pour te dire que cette séparation étanche entre la sphère privée et la sphère publique n’est pas tout à fait opérationnelle dans le cas haïtien. La majorité des femmes haïtiennes ont une certaine autonomie économique parce qu’elles ramènent l’argent à la maison ; même si la domination masculine prend des formes un peu plus subtiles. C’est un peu complexe ; j’espère qu’on pourra y revenir dans une autre correspondance.  

Tout ce qu’on se dit depuis le début de notre correspondance revient à cette question fondamentale, en quoi le féminisme est-il nécessaire dans les sociétés modernes ? Oui le féminisme est plus que nécessaire dans ces sociétés, qui malgré certains acquis dus aux luttes menées par les femmes, continuent à reproduire les inégalités entre les catégories de sexe. C’est pour dire que la modernité n’est pas synonyme d’égalité, de justice entre les sexes. Au contraire, les sociétés modernes s’organisent à justifier la domination masculine, l’oppression des femmes. Pour cela, on n’a qu’à prendre en exemple, la déclaration universelle des droits de l’homme en France, ou les formes actuelles de division sexuelle du travail dans les nouvelles technologies. N’est-ce pas Simone de Beauvoir qui a dit : « Rien n’est jamais définitivement acquis. Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes. »

Sur ce, je te souhaite un bon week-end très chère Lyra !

À bientôt !

Paris, le 2 juillet 2020

 

Chère Tay,

D’abord, je te prie de m’excuser pour ce long délai avant cette première lettre de la semaine. J’aurais aimé être plus réactive mais je me suis laissée déborder par un début de semaine intense en terme de travail et d’engagement associatif… Je n’ai pas donc pas emprunté notre passerelle aussi tôt que je le voulais. Mais me voici, ravie de te répondre et d’aborder de nouveaux thèmes.

Je suis ravie que tu aies aimé le poème d’Andrée Chédid. Son écriture me fait frissonner et fait naître en moi des images émancipatrices qui m’accompagnent depuis de longues années. 

Je rejoins et j’admire profondément les réflexions que tu partages avec moi sur les codes de la famille. Cela fait sens et j’entends bien que l’essentialisation de la fameuse famille nucléaire, occidentale, chrétienne, est élevée au rang de norme, voire de “nature” alors qu’elle est une construction dont l’un des piliers est effectivement le patriarcat. Je réfléchissais d’ailleurs récemment avec une amie au sujet de la maternité et donc de la famille. On se disait que le modèle nucléaire nous semblait peu pratique du point de vue de la charge mentale, émotionnelle, et des responsabilités qu’impliquent la naissance et l’éducation d’un ou plusieurs enfants. Pour faire un parallèle avec ce que tu m’expliques du rôle des femmes dans les familles haïtiennes, en France aujourd’hui, la séparation entre sphère publique et privée me semble justement bien plus étanche, même si les femmes travaillent. Car malgré cet apport économique conséquent, elles demeurent “maîtresse de maison”, ce qui est à double tranchant et problématique à tant d’endroits qu’il me faudrait 10 lettres pour faire le tour de la question ! Avec mon amie, nous rêvions à d’autres formes de famille, plus larges, qui ne seraient pas centrées sur un couple hétérosexuel mais sur une communauté de personnes désireuses de partager ensemble l’aventure d’accompagner un être humain à travers les différents stades de sa vie. Me concernant, je me vois très bien comme faisant partie du “gang des tantes” que décrit la journaliste Mona Chollet dans son dernier livre, Sorcières. Être une figure joyeuse et bienveillante qui conserve son autonomie et sa liberté tout participante de façon choisie à l’éducation de jeunes citoyennes et citoyens. 

Mais je te propose d’entrer dans les sujets de la semaine ! Ils sont passionnants et encore une fois si vastes, si vertigineux. La sexualité est-elle pour nous, qui nous identifions comme des femmes, synonyme d’épanouissement ou de domination… Je ne suis pas certaine que l’on puisse trancher cette question de façon manichéenne. Bien sûr, quand je lis ce mot de domination, je pense immédiatement aux violences sexuelles que nous subissons et/ou contre lesquelles on nous met en garde dès l’enfance. Je me souviens d’avoir toujours eu peur d’être agressée sexuellement dans l’espace public parce qu’on m’a inculqué cette peur. Et cela ne venait pas seulement de mes parents. Les fictions, particulièrement audiovisuelles, jouent un rôle très important dans la propagation de cette peur. Nous y voyons tant de femmes victimes de viols et de violences qu’on finit par admettre que c’est notre lot et qu’on s’y attend à chaque coin de rue. Finalement, on nous apprend à craindre la sexualité soi-disant bestiale et incontrôlable des hommes plutôt que de nous apprendre à connaître notre corps, comprendre son fonctionnement, ses désirs (ou absence de désir), ses réactions… Tout cela ressemble bien à de la domination. La peur des violences sexuelles, l’idée ancrée que nous sommes par nature “soumises” aux désirs masculins encombre évidemment le chemin de l’épanouissement. C’est aussi une bonne manière d’asseoir la domination patriarcale : conserver les femmes dans la peur de la violence sexuelle des hommes et ainsi nous faire trembler à tout moment. 

Quant à la perception des attributs corporels dits “féminins” ou “masculins”, je trouve le sujet incroyablement riche. Et cela me fait penser à cette différence incongrue et néanmoins significative : les hommes cisgenres, qui sont donc le groupe social dominant dans la majorité des sociétés modernes, possèdent un pénis, un sexe dit “masculin”. Et ce sexe attribué au masculin, tout le monde est capable de le dessiner ! Avec plus ou moins de talent (me concernant, avec mes piètres talents de dessinatrice, c’est plutôt catastrophique) mais en tout cas, tout le monde, même les personnes qui n’en ont pas, sont capables de dessiner vaguement cet organe. En revanche, la vulve, qui est de façon normative associée au “féminin”, reste invisible. Ou du moins, elle reste mystérieuse pour un grand nombre de personne et même des personnes qui possèdent une vulve ne sauraient pas la dessiner. Je trouve cette différence de représentation fascinante et terrifiante. Fascinante car elle illustre parfaitement la relation ambivalente de la société au corps et notamment à la sexualité des femmes. Terrifiante car elle prive de nombreuses jeunes personnes de connaissances nécessaires et désacralisées sur leur propre corps. 

Je vais te laisser sur ces mots et, comme tu as apprécié la dernière fois de découvrir Andrée Chédid, je te parle à nouveau d’une artiste dont j’aime le travail. Elle s’appelle Vic Oh et a créé une série qui se nomme “Viva la vulva”. Tu la trouveras ici : https://vicoh.fr/vivalavulva/

Je te souhaite une belle journée chère Tay et à très bientôt,

 

Lyra

Port-au-Prince, le 2 juillet 2020

 

Chère Lyra,

Je comprends bien ton retard, parce que le plus souvent c’est moi qui en donne. Je comprends que tu ais un agenda plus chargé que d’habitude en cette période de déconfinement qui exige beaucoup en termes d’activités professionnelles et d’engagement militant. J’espère toutefois que tout va bien pour toi et que tu puisses aussi bien profiter de tes journées. De mon côté, tout va pour le mieux. Je dois te dire que je suis heureuse de pouvoir continuer à partager nos réflexions et expériences toutes les semaines. Je me rends compte qu’avec toi, cette expérience constitue un processus continu d’apprentissage. Merci !

Je partage vivement tes mots sur la place de la violence, de la peur dans la construction de la sexualité féminine. Tes mots me font penser à Catharine Mackinnon qui disait que pour nous les femmes, la sexualité est ce qui nous appartient le plus et ce qu’on nous a enlevés. Elle ajoute que la sexualité est au féminisme ce que le travail est au marxisme. Une façon pour moi d’introduire l’enjeu de la discussion de cette semaine à savoir : La sexualité chez les femmes ; épanouissement ou domination ? Cette question comme tu l’as dit ne peut être répondue par oui ou par non vu sa complexité. Le corps de la femme a été trop longtemps considéré comme l’objet du désir sexuel masculin. La sexualité dans ce sens, n’est pas un fait de nature, mais une construction sociale et politique, c’est-à-dire une forme d’imposition des rapports de pouvoir sur des corps. C’est pourquoi dans un cadre hétéronormé, on ne peut pas penser les catégories femme/homme sans passer par la sexualité qui est un lieu de contrôle du corps et du désir des femmes. 

Et c’est là que je te rejoins quand tu as fait ressortir comment cette forme de sexualité est marquée par la violence et la peur. Ce qui fait surtout peur, c’est que la sexualité féminine a été construite pour être contrôlée par les hommes, en ce sens que la femme n’est pas un sujet de sexualité mais un objet. Elle est conçue pour le plaisir sexuel des hommes et la reproduction. Toute volonté de remettre en question cet ordre politique est mal vu par les hommes et les portent à faire usage de la violence pour ramener les femmes à l’ordre. Donc la femme a doublement peur : peur d’être marginalisée et exclue de sa communauté et surtout peur des violences qu’elle pourrait subir du fait de rompre avec cette forme de sexualité. Toute sexualité qui s’inscrit dans cet ordre, est une sexualité dans laquelle, la femme est dominée. Comme le dit Judith Butler, on apprend à la petite fille à orienter ses désirs vers le petit garçon et le contraire parait anormal. Je pense que les pratiques sexuelles qui sortent de ce carcan, peuvent être pour les femmes des lieux d’épanouissement.

De même que la sexualité, les corps peuvent être considères comme des constructions sociales. Ils participent à la détermination des identités des individus. Donc, on est femme ou homme par le fait qu’on attache à son corps un ensemble d’attributs définis comme féminins ou masculins. Et cette construction binaire du corps s’inscrit aussi dans le cadre d’un projet politique. On perçoit toujours le corps dans le cadre d’un projet politique, d’une vision du monde. Parlant du corps masculin et du corps féminin, c’est une façon d’ériger en norme la bi catégorisation sexuelle des individus et aussi d’exclure la possibilité qu’il existe d’autres corps. Donc, la façon de percevoir le corps humain n’est jamais neutre et c’est pourquoi que Foucault a parlé de la biopolitique pour dire que le corps est toujours travaillé par et dans la politique.

Contrairement aux précédentes correspondances, celle-ci est un plus théorique vu la nécessité d’expliciter certaines notions qui rentrent dans la formulation des thèmes de cette semaine.

J’espère te lire bientôt ! Je te souhaite déjà un bon week-end !

 

Tay

Paris, le 4 juillet 2020

 

Chère Tay,

Merci pour ta lettre passionnante et éclairante ! C’est toujours très enrichissant de te lire, de découvrir les références que tu mentionnes et de partager tes connaissances. Je prends beaucoup de plaisir à nos échanges et j’y trouve aussi quelque chose d’apaisant : ce n’est pas toujours facile d’aborder ces sujets en société et le fait de les aborder par le biais d’une correspondance à la fois intense et bienveillante me fait beaucoup de bien. 

Je suis tout à fait ton analyse et ton chemin théorique concernant la sexualité et le corps. C’est intéressant que tu mentionnes Catharine MacKinnon. Je n’ai pas lu ses ouvrages mais j’ai entendu parler de son travail dans l’essai d’une philosophe française qui se nomme Manon Garcia. Elle a écrit un livre intitué “On ne naît pas soumise, on le devient” dans lequel elle étudie la soumission des femmes à l’ordre patriarcal. Elle pose notamment l’hypothèse que nous choisissons parfois certaines soumissions et que nous en refusons d’autres. Mais dans son travail, elle dit que la soumission nous est tellement inculquée tôt et de façon si constante qu’aucune d’entre nous ne peut véritablement, dans nos sociétés modernes, être totalement libre et autonome. Il faut donc bien revoir l’ensemble de notre modèle social pour s’extraire de la soumission. Mais j’en reviens à MacKinnon qui est mentionnée dans le livre de Manon Garcia pour son travail sur le harcèlement sexuel au travail puis son combat contre la pornographie. C’est cette deuxième lutte qui m’interroge, encore plus après avoir relu récemment une interview de Judith Butler qui n’a pas du tout le même positionnement sur la question de la pornographie ou de la prostitution. Au début de mon engagement féministe, je pense que j’avais une vision morale, voire moraliste de la sexualité. Je pensais notamment que le travail du sexe était forcément dégradant pour les femmes et qu’aucune personne ne pouvait volontairement décider de “vendre son corps”. Je rejoignais sans le savoir la position de Mackinnon et de la première vague féministe française. Aujourd’hui, mes questionnements prennent d’autres chemins. Et je me retrouve davantage dans les propos de Judith Butler. J’ai envie de creuser cette idée d’une “éthique de la sexualité” sur laquelle travaille notamment le sociologue Eric Fassin, en France. Je ne vais pas m’aventurer à en dire beaucoup plus car mes connaissances restent minces mais je trouve que c’est un sujet central pour aller vers plus d’autodétermination, sortir de la peur et de la soumission.

Un petit mot avant de te quitter sur la séparation genrée des métiers, thème de réflexion qui nous est proposé cette semaine. Cette question des métiers dits “masculins” ou “féminins” me fait toujours penser à la manière dont la langue française a été modifiée de façon politique, il y a quelques siècles, à partir de la Renaissance me semble-t-il, en transformant la grammaire afin que “le masculin l’emporte sur le féminin”. En inventant cette nouvelle règle, qui n’avait pas cours au Moyen-âge, on a aussi fait disparaître de la langue et donc de nos champs de pensées et de réflexions, de nombreux noms de métiers : médecine, écrivaine, autrice… Si l’on ne peut pas nommer un métier au féminin, comme envisager que des femmes puissent le pratiquer ? L’existence ou la création d’un mot est une nécessité absolue pour penser un concept, une notion ou une problématique. 

Je te souhaite une belle fin de semaine, chère Tay et au plaisir de te lire bientôt !

 

Lyra

Paris, le mardi 7 juillet 2020

 

Chère Tay,

 

J’espère que tu vas bien et que tu as passé une belle fin de semaine. Ici à Paris le temps devient de plus en plus doux, le soleil commence à prendre ses quartiers dans le ciel, l’été s’installe et cette lumière nous fait du bien. 

 

Cette semaine va nous permettre de nous connaître un peu mieux, même si j’ai la sensation que l’intensité de nos échanges nous a permis de découvrir déjà de nombreuses choses l’une sur l’autre.

 

Je vais, pour cette dernière semaine de correspondance, être un peu “scolaire” et tenter de répondre à toutes les questions en une seule fois. Je me dis que nous aurons l’occasion d’approfondir ensemble dans les jours à venir.

 

1. Féministe ? Pourquoi ? 

 

Première question, premier flou. Aujourd’hui, je me demande surtout comment j’ai pu ne pas être éduquée au féminisme dès mon enfance tant ce mouvement et ses idées sont essentiels. Je crois que je reste une féministe en devenir. J’apprends chaque jour des différentes associations et militant·e·s que je rencontre. J’essaie de me remettre en question et d’avoir une position à la fois déterminée et humble. Déterminée face au système de domination patriarcale et au sexisme systémique. Humble face à toutes les autres luttes dont j’ai beaucoup à apprendre. 

Je dirais finalement que je suis féministe parce que je crois profondément que l’individu, au sein du collectif, peut contribuer à construire un monde plus juste. 

 

2. Féministe par éducation ou par expérience ?

 

Je crois que j’ai déjà un peu répondu à cette question plus haut. Je me suis intéressée au féminisme suite à différentes expériences que j’ai vécues ou dont j’ai été témoin. Je n’ai pas grandi dans une famille qui s’intéressait à ces questions, même si la combativité des femmes qui m’ont élevées était un exemple. 

 

 

3. A quel courant féministe appartenez-vous ? Quelle est la somme de travail accompli dans ce courant ?

 

Je ne me reconnais pas dans un courant en particulier. Et je n’ai pas envie de m’enfermer dans un courant qui aurait ses portes-paroles et/ou ses grandes figures. Je rêve d’un féminisme plus collectif, auto-géré et constamment en mouvement, dans une véritable volonté de remise en question. Il y a cependant des courants dont je me sens profondément loin, voire qui me révoltent. Notamment les courants qui excluent les femmes trans. 

Quant à savoir quelle somme de travail j’accomplis… Eh bien je suis présidente d’une association féministe depuis près de 4 ans et je passe énormément de temps à prendre soin de cette structure et à la développer. Je pense qu’à l’échelle des progrès à accomplir, ma part est toute petite. Mais dans ma vie, le féminisme est présent à chaque instant. C’est devenu un prisme pour regarder le monde et dont je ne me sépare jamais (même si je ne peux pas réagir comme je le voudrais dans toutes les situations, évidemment).

 

4. Quelles sont les limites du féminisme dans la vie pratique ?

 

Il me semble qu’il y en a beaucoup. Les premières limites auxquelles je pense sont celles que nous pouvons rencontrer dans le cadre professionnel. Les postes à responsabilité étant souvent occupés par des hommes cisgenres, afficher ouvertement son féminisme peut-être dangereux, surtout si l’on est dans une situation de précarité et qu’on ne peut pas se permettre de perdre son travail. Sachant que la précarité touche majoritairement les femmes à travers le monde, il peut être difficile voire impossible d’appliquer ses valeurs féministes sur son lieu de travail. 

 

5. Quelles sont les figures féministes qui vous inspirent et pourquoi ? (un ou deux exemples)

 

Une des figures féministes qui m’inspirent le plus aujourd’hui, notamment par sa capacité à se remettre en question sans perdre son militantisme ni sa détermination, est l’actrice Jameela Jamil. J’admire son intelligence et son courage. J’admire la manière dont elle utilise sa notoriété pour offrir un espace de parole à des luttes invisibilisées. J’admire la précision de ses prises de position et les soins qu’elle prend pour rendre accessible au plus grand nombre des notions théoriques. L’une des figures féministes qui a accompagnée mes premiers questionnements est aussi Virginia Woolf. Une chambre à soi, que je n’ai pas relu depuis longtemps, reste pour moi une révélation. Elle y aborde deux sujets qui me sont très chers : la création artistique et la représentation des personnages féminins. Tout en démontrant que les conditions de vie des femmes freinent considérablement leur possibilité à se penser comme des artistes et à produire des oeuvres artistiques, elle invite son lectorat à écrire, à créer, sans penser à son sexe. Elle propose aussi d’imaginer des personnes féminins qui ne soient pas de purs fantasmes pour l’homme cisgenre et hétérosexuel. Elle combat l’idée de “l’éternel féminin” et veut rendre aux femmes leur spécificité, leur pluralité, le concret poétique de leur existence. 

 

6. Différence entre le féminisme haïtien et français.

 

Je ne suis pas sûre de pouvoir déjà répondre à cette question… Peut-être auras-tu une réponse ? Je vais y réfléchir encore un peu de mon côté. 

 

Je te souhaite une belle semaine et j’espère te lire bientôt.

 

Lyra

Port-au-Prince le 9 juillet 2020

Chère Lyra,

J’espère que tout va bien pour toi cette semaine. Je suis contente que le soleil parisien te sourit et que tu en profites bien. De mon côté, ca va ; sauf qu’il fait très chaud pour le moment et les coupures d’électricité sont fréquentes à Port-au-Prince. Cette dernière correspondante m’a permis de mieux te connaitre sur le plan politique et associatif.

Cette semaine le « Féminisme » se retrouve une fois de plus au centre de nos échanges qui nous invitent à nous positionner par rapport à ce mouvement social. Et quel que soit notre choix en termes de courant, le féminisme reste et demeure avant tout, à mon humble avis, un mouvement social progressiste et critique dans la mesure où il revendique une société dans laquelle les femmes peuvent s’épanouir.

Plusieurs thèmes sont proposés cette semaine. Le plus simple c’est d’essayer comme toi, d’être un peu « scolaire », c’est-à-dire d’aborder les thèmes l’un après l’autre.

1. Féministe ? Pourquoi ?

Être féministe et pourquoi ? C’est une question à la fois simple et complexe. Simple, parce que étant que femme vivant dans une société dans laquelle les femmes occupent des positions de subalternité par rapport aux hommes, une société qui les opprime, la défense des causes de cette catégorie sociale, malgré sa diversité et les contradictions internes qui la structurent, serait une évidence. Mais être femme et être opprimée ne suffisent pas pour se revendiquer féministe, c’est ce qui rend difficile la question.
Je suis féministe parce que je suis de plus en plus consciente de la situation d’injustice et d’inégalité dans laquelle moi-même et beaucoup d’autres femmes se trouvent, malgré certaines avancées. Je suis féministe parce que je m’engage dans des actions collectives qui visent l’émancipation des femmes.

2. Féministe par éducation ou par expérience ?


J’ai grandi dans un milieu de militantisme politique. Mes parents, ma mère principalement, était membre de parti politique, elle dirigeait des campagnes électorales, candidate aux élections locales. Elle allait devenir maire plus tard. Elle était aussi dirigeante d’association de femmes dont les actions étaient centrées principalement sur l’autonomisation.
J’ai vécu dans cette ambiance sans pour autant avoir eu conscience que la situation que ces femmes-là cherchaient à améliorer résultent des rapports de domination existant entre les hommes et les femmes dans ma communauté. C’est en accédant à la littérature féministe que je suis arrivée à avoir une pleine conscience de la dimension politique et sexuelle de ces rapports sociaux. Parce que ces femmes là résistaient contre la domination masculine sans s’en être rendues compte.

 

3. À quel courant féministe appartenez-vous ? Quelle est la somme de travail accompli dans ce courant ?
Choisir un courant féministe est un exercice compliqué, parce que qu’il existe tellement de féminismes, de critères de différenciations d’expériences féministes, qu’il me parait difficile à en choisir un. Toutefois, je crois qu’il existe différentes formes d’oppression et chacune d’elles correspond une base matérielle et une forme de prise de conscience et d’organisation. Je crois aussi que les rapports sociaux n’existent pas de façon isolée même si pour des raisons stratégiques une forme d’action collective pourrait en prioriser une. Il importe aussi de signaler que, pour moi, les luttes collectives doivent favoriser l’épanouissement de chacune, de chacune. C’est pour dire que j’appartiens à un féminisme matérialiste qui tient compte de l’imbrication des rapports sociaux et n’efface pas les projets de vie individuels. Dans cette perspective, je suis membre de plusieurs structures associatives qui cherchent à construire des femmes comme des sujets politiques, des actrices de leurs vies collectives et individuelles. Je milite surtout dans le milieu de la presse en vue de rendre visible les rapports de pouvoirs qui produisent les femmes comme subalterne et de construire un espace où les femmes peuvent parler.

4. Quelles sont les limites du féminisme dans la vie pratique ?

Le féminisme est un mouvement qui revendique des droits pour les femmes dans le cadre d’un système social historiquement établi. Les féministes ont bien caractérisé, défini et critiqué le caractère patriarcal des sociétés modernes. Mais cette critique n’empêche qu’on revendique des droits à l’intérieur même de ce système qui a la capacité de contourner les revendications des femmes afin de se reproduire. Je pense que cette dynamique constitue l’une des limites du féminisme dans la vie pratique.


5. Quelles sont les figures féministes qui vous inspirent et pourquoi ? (un ou deux exemples)

Je suis inspirée particulièrement par les militantes féministes noires américaines. Parce qu’elles arrivent à faire ressortir l’importance et les enjeux des rapports de race dans la construction des rapports sociaux de sexe. Et là je pense particulièrement à Patricia Hill Collins.

6. Différence entre le féminisme haïtien et français.

a- Le féminisme français parait être un féminisme dominant par rapport au féminisme haïtien par le fait que Haïti et la France s’inscrivent historiquement dans des rapports de domination épistémique et politique. À titre d’exemple, en Haïti, on connait beaucoup plus les féministes français que les autres féministes à travers le monde.
b- Le féminisme haïtien développe un rapport de dépendance plus poussé aux ONG et OI que le féminisme français. Les activités féministes en Haïti sont souvent financées par ces organismes ; il devient souvent difficile de distinguer le travail militant du travail ONG.
c- L’histoire et l’actualité du féminisme haïtien lui donne plus de possibilités d’imbriquer les rapports sociaux de classe, de sexe, de race et de colonialité que le féminisme français.

Ce fut un plaisir, chère Lyra, d’échanger avec toi durant ces quatre semaines. Je souhaite vraiment qu’on restera en contact et qui sait on pourra se rencontrer un jour.

Être féministe et pourquoi ? C’est une question à la fois simple et complexe. (...) Je suis féministe parce que je suis de plus en plus consciente de la situation d’injustice et d’inégalité dans laquelle moi-même et beaucoup d’autres femmes se trouvent, malgré certaines avancées. Je suis féministe parce que je m’engage dans des actions collectives qui visent l’émancipation des femmes.
Antoinette Duclaire
dans Passerelle
Antoinette Duclaire

dans nos mémoires

Pour accompagner la publication de cette correspondance, Marie-Murielle Morné, présidente de l’association B-KA, Nahilé Belghali, militante co-organisatrice des correspondances, et Tatyana Razafindrakoto, correspondante d’Antoinette Duclaire, ont souhaité partager quelques mots. 

Marie Murielle Morné

Mon nom est Marie Murielle Morné. Je suis la présidente de l’Association culturelle B-KA, Bote Kreyòl Ayiti qui a conjointement organisé le jeu de correspondance mettant en relation deux associations de deux pays différents (Haïti-France). Je voudrais aujourd’hui, contribuer à honorer la mémoire d’une de nos participantes qui a perdu la vie dans la nuit du 29 au 30 juin 2021. 

Je dois dire que je ne sais plus à quand remonte ma rencontre avec Netty – Marie Antoinette DUCLAIRE, mais je l’ai toujours connue enthousiaste et dynamique. Elle était sur tous les fronts, je peux dire. Politique, social, économique. C’était une boule d’énergie. On avait plusieurs marmites sur le feu. Mais aujourd’hui, il s’agit de sa participation active au sein de B-KA. Elle a toujours pris part aux initiatives que je prenais avec l’Association dont elle fut membre pendant un certain temps. Ce n’était donc pas son premier jeu de correspondance avec B-KA. Ce qui fait que j’ai tout de suite pensé à l’inviter une fois de plus quand il m’a fallu trouver 50 personnes pour correspondre avec les membres de l’Association féministe « les Aliennes » de France. Quand  je lui ai parlé de Passerelle, elle a tout de suite accepté d’être de la partie et a tenu à garder sa place à la première édition de ces échanges internationaux. 

C’était assez strict, et on se fâchait parfois quand elle mettait trop de temps à envoyer ses lettres. Je la bousculais toujours en lui disant qu’elle était bien placée pour comprendre l’urgence de respecter les délais de livraison étant elle-même une responsable. On a pu trouver un juste milieu. Le jeu durait 4 semaines, avec un thème différent et un quota de lettres à envoyer pour chacune d’entre elle. A la fin de ce mois, on avait prévu de faire un podcast de ces conversations pour intéresser d’autres participantes et rendre public ces débats féministes par écrit au-delà de l’Atlantique. Netty était enthousiaste à l’idée de mettre sa voix sur les textes qu’elle eut à écrire à sa correspondante. Elle m’a même mis la pression à ce sujet et je lui disais qu’on le fera tôt ou tard du moment que les textes sont toujours là. Malheureusement, des problèmes techniques de notre côté (Haïti) ont fait qu’on n’a pas pu mettre ce projet à exécution à ce jour. Et je ne prévoyais pas que ce fut elle qui ne serait plus là pour le voir. Je suis aujourd’hui très triste que l’on doive ainsi commencer le projet de mettre public ces échanges. On n’aurait pas dû avoir à ainsi honorer sa mémoire. Mais on peut faire tous les projets possibles, c’est la vie qui décide du dénouement, au final. 

Je souhaite que cette initiative profite à d’autres jeunes filles et que l’on puisse contribuer par cet acte à motiver d’autres jeunes filles et femmes à avoir une voix, une voix qui fasse écho internationalement.

Tatyana Razafindrakoto

En juin 2020, Netty et moi avons commencé à correspondre, sous pseudonyme, sans nous connaître. Je me souviens d’avoir été pleine d’enthousiasme en écrivant ma première lettre à cette inconnue. J’ai eu un peu peur aussi. J’espérais que nos mots se rencontreraient, que nos mondes pourraient dialoguer. La première lettre de Netty (qui m’écrivait sous le surnom de Tay), je l’ai dévoré, lu et relu. Elle était si puissante ! J’étais pleine d’admiration. Et je le suis restée durant les quatre semaines de notre correspondance. Grâce à Netty, j’ai découvert des femmes comme Madeleine Sylvain Bouchereau et Patricia Hill Collins. J’ai compris mes immenses lacunes concernant l’histoire d’Haïti et j’ai eu envie de les combler. À chacune de ses lettres, j’étais touchée et impressionnée par les réflexions qu’elle acceptait de partager avec moi, sa vision du militantisme et du féminisme. Ses lettres ont nourri ma détermination et m’ont invité à me remettre en question. Au cours de ces échanges, j’ai fait la rencontre d’une femme forte, engagée, courageuse et généreuse. C’était une chance et un honneur de pouvoir créer et partager cette relation épistolaire. 

Nous avions toutes les deux le désir de poursuivre nos échanges après cette Passerelle construite par l’association B-KA et Les Aliennes. Nous n’en avons pas eu le temps… 

L’assassinat d’Antoinette Duclaire est un choc. Je pense à ses proches, aux femmes de son entourage, à l’association B-KA et à Marie-Murielle Morné, qui a participé à rendre cette rencontre par correspondance possible. Il est impossible d’imaginer ce que la perte de Netty représente pour elles et eux, impossible de concevoir la violence de sa disparition. Ce qui est à ma portée aujourd’hui, c’est de lui rendre hommage, en présentant notre correspondance qu’elle avait acceptée de rendre publique. Je souhaite que ses mots, son énergie et sa combativité ne soient jamais oubliés.

Nahilé belghali

En 2020, lors du projet Passerelle, j’ai eu la chance de connaître Antoinette Duclaire à travers sa correspondance avec Tatyana, lorsqu’elles ont toutes deux accepté que je lise leurs lettres. Mon intérêt et mon admiration pour Netty ont grandi au fil de ces lignes. Ses lettres et son engagement, m’ont beaucoup appris sur le féminisme et les différents chemins que l’on peut emprunter dans la vie. A travers ses mots, Netty m’a ouvert de nouveaux horizons, de nouvelles possibilités et la volonté de croire en mes rêves. La lecture de ses lettres m’a aussi permis de croire profondément en une sororité qui s’étend au-delà des frontières de nos pays. 

Je souhaite me joindre aux associations B-KA et les Aliennes pour rendre hommage à Antoinette Duclaire qui aurait fêté ses 34 ans aujourd’hui. L’annonce de son assassinat demeure un choc et je pense profondément à sa famille ainsi qu’à ses proches. Je pense également à Marie-Murielle Morné, à l’association B-KA, à Tatyana Razafindrakoto et à l’association les Aliennes avec qui Netty était en correspondance. La passerelle qui s’est établie entre nous a créé une sororité qui demeure forte par-delà l’Atlantique. Je souhaite que la force, l’espoir et la combativité d’Antoinette Duclaire demeurent, se transmettent et se perpétuent.

Antoinette Duclaire
Antoinette Duclaire